dernier ajout le 23.01.2022

je me sens très maladroite dans mes interactions humaines, comme une nouille. je ne peux pas, je n'arrive pas à dire "p. est décédé; cela me heurte"
ne faisait-il pas parti de ceux où je m'étais dit quand x meurt, j'arrête ? j'ai envie de construire un autel là où il créchait, à l'image du sien: il plaçait toujours des dessins, des livres, des bibelots entre lui et la rue; une large ligne à ne pas franchir sur le trottoir, juste avant le renfoncement du magasin. son palier
il répétait souvent dépêche doucement
je le prends toujours en exemple après de nouveaux collègues et stagiaires, pour raconter l'apprivoisement. je lui ai servi un capucino-deux-sucres trois fois par semaine, en respectant son lieu d'habitation et son silence, son expression farouche de liberté. au bout de quatre mois il m'a demandé mon prénom -- j'étais en train de devenir quelqu'un pour lui comme il était devenu quelqu'un pour moi.

how to small talk with john wilson est tout à fait fabuleux. je l'ai regardé deux fois et c'est une jolie histoire, une jolie rencontre ; une expression singulière qui dévoile à pas feutré, derrière l'humour et la tendresse, le dispositif humain.

c'est un peu chiant d'apprendre un décès par radio-rue, car les rumeurs restent toujours incertaines.
l'autre jour C. me dit que K. est décédée -- c'est une très vieille dame à la santé oubliée, qui parcourt la ville avec son déambulateur et qui répète à qui veut l'entendre qu'elle remarchera un jour et qu'elle retournera vivre dans le Sud, quelle idée de rester en Alsace où ses deux maris sont morts.
elle parle parfois d'une mesure d'expulsion dans son appartement trop grand pour elle, d'un fils dont elle n'a plus de nouvelles, de son expérience comme ouvrière en restauration et du monde tordu dans lequel elle évolue aujourd'hui
elle porte une énorme crinière de cheveux blancs, un nid d'oiseau tricoté avec des barettes et pinces poussièreuses dont la taille fait trois fois celle de sa maigre tête ridée.
sa curatrice que j'ai au bout du fil un jour me dit que c'est une ancienne alcoolique, que son habitat déborde de bazar -- une agente du bailleur social me répond séchement quand je tente d'en savoir plus sur sa situation (avec son accord qu'on a mis du temps à obtenir) qu'ils sont en contention avec elle et que sa mesure de protection gère le dossier, merci au revoir.
je passe le lendemain après-midi après avoir appris cette triste nouvelle à appeler à droite à gauche pour vérifier l'information de son décès. j'appelle le service "indigents" à la mairie, èls sont très aimables. je pense soudainement à appeler chez la dame -- peut-être est-elle chez elle ? c'est un numéro fixe sans répondeur qu'elle explique laisser sonner régulièrement car avec son vieux corps dénutri, elle dispose de peu de forces. silence bipé. je tente l'hôpital: l'agente d'accueil ne rechigne pas à me donner des informations, K. est là et l'infirmière qu'elle me transfert me raconte que K. a été retrouvée chez elle, après une chute. une frature de la hanche et du fémur. l'équipe a repéré ses troubles cognitifs cachés sous son caractère de femme qui sait se défendre. je crois qu'on va prendre soin d'elle ici. ce n'est pas possible d'aller lui rendre visite à cause du "plan blanc covid".

lundi soir, c'est le potentiel décès de p. que j'apprends.
et comment vérifier l'information alors qu'il est parti vers le luxembourg il y a 4 mois, qu'il est tchèque et n'a jamais eu de papiers d'identité réels (un carton avec son prénom, son nom et sa date de naissance lui suffisait).
penser alors à téléphoner à O. qui m'a prévenu, un gus d'origine polonaise à la vie bien remplie, qui garde les pieds sur terre et la tête sur les épaules. en ce moment, il attend des nouvelles de l'hôpital de G. pour une opération de la mâchoire: il s'est fait violemment tabassé cet été par une bande dans une rue malfamée. il m'avait montré un selfie de son visage ensanglanté et boursouflé. je l'avais appelé à ce moment-là pour prendre de ses nouvelles, l'ayant croisé la semaine précédente en maraude. il exprimait à ce moment-là des maux de ventre coriaces et le fait qu'il n'ait pas vu de médecin depuis 3 ans... je questionnais cette crainte et il s'est confié sur les précédents dans sa famille (des cas de cancer). je lui avais demandé si je pouvais le recontacter la semaine suivante pour savoir si ça allait mieux, il était OK. entre ces deux coups de fil donc, il s'était fait agressé.
"chez nous on porte pas plainte"
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